Monsieur le président de la République,
Le 14 janvier dernier, participant à une table ronde à Pau sur l’« écologie dans nos territoires », vous avez déclaré : « Le consensus sur l’éolien est nettement en train de s’affaiblir dans notre pays. […] De plus en plus de gens […], qui considèrent que leur paysage est dégradé, ne veulent plus voir de l’éolien près de chez eux. Il ne faut pas l’imposer d’en haut. »
Quiconque en effet traverse la France en est le témoin : partout se dressent des éoliennes, ces pylônes aux pales gigantesques, vrombissants, clignotants nuit et jour. Les plaines céréalières, les collines provençales, les rivages des océans, aucun arpent de terre ni de mer n’est à l’abri.
Objets industriels, fabriquées en série, elles uniformisent un pays distingué d’entre tous pour la diversité, la variété, la beauté de ses paysages. Hors d’échelle, ces turbines accaparent la vue, écrasent ce qui les entoure.
Turbines, en effet, aérogénérateurs plus rigoureusement, les éoliennes n’ont rien de bucolique, rien de pastoral.
Notre œil est blessé, notre sensibilité affectée, notre sens du beau offensé. Entre 7 000 et 8~000 aérogénérateurs aujourd’hui, 25 000 en 2025. « D’ici dix ou quinze ans, notre pays aura changé de visage », prévient Alexandre Gady, le président de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France.
Se soucier du visage de la France, n’est-ce pas une des prérogatives, une des plus nobles prérogatives du politique ?
Et puis, vous nous l’accorderez, il est pour le moins paradoxal de se comporter en « maître et possesseur de la nature » – ce credo de la modernité compromis dans la dévastation de la terre –, lorsque l’on entend, comme vous le faites tous, agir au nom de l’écologie.
Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, on veut asseoir dans l’opinion l’idée que le salut de la planète passera par l’implantation d’éoliennes. Or, si la cause est juste, impérieuse même, les éoliennes ne feront rien à l’affaire. Pour une raison très simple : notre production d’électricité est pour l’essentiel d’origine nucléaire et, s’il présente bien des inconvénients, le nucléaire ne produit pas de gaz carbonique. « C’est grâce au nucléaire que la France est un des pays les plus décarbonés au monde », rappeliez-vous dans Le Monde en juillet 2015.
Quant à remplacer le nucléaire, la chose ne saurait être envisagée, sauf à rouvrir des usines à charbon ou à pétrole. La production d’électricité des éoliennes est si intermittente, si aléatoire qu’aucun pays ne saurait raisonnablement y gager son indépendance énergétique – jusqu’à nouvel ordre, les hommes ne sont pas en mesure de commander les caprices des vents.
De plus, la réalité est beaucoup moins souriante et écologique que les discours officiels veulent nous le faire accroire : bétonnage des sols, matériaux de construction des aérogénérateurs essentiellement non recyclables, redoutable mortalité des oiseaux qui viennent se fracasser contre les hélices, perturbation des circuits de migration, brouillage des ondes qui désoriente les chauves-souris, ronronnement continu, gabegie financière – les éoliennes ne vivant quasiment que de subventions publiques –, durée de vie extrêmement courte, entre 15 et 20 ans, le démantèlement s’avérant si onéreux qu’elles restent en place, finissant par constituer de véritables cimetières de pylônes rouillés.
Enfin, l’implantation de l’éolien se fait contre la volonté des populations. La résistance est vive en effet : 70 % des projets sont contestés. Longtemps impatienté par ces résistances, vous avez fait adopter de nombreux textes visant à « assouplir la procédure », autrement dit à contourner les oppositions. Puis le mouvement des gilets jaunes est passé par là. Vous nous avez dit qu’il vous avait changé. Les propos que vous avez tenus à Pau en portent la promesse. Vous avez une belle occasion de démontrer dans les faits que vous ne gouvernerez plus contre cette France périphérique longtemps oubliée. Alors, mettez un terme à l’implantation des éoliennes, qui concerne et chagrine au premier chef cette France rurale dont vous faites si grand cas.
Bérénice Levet, philosophe
Alain Finkielkraut, philosophe
Stéphane Bern, animateur télévision et radio, écrivain
Jean Clair, conservateur, ex-directeur du musée Picasso, essayiste
Jean-Pierre Le Goff, sociologue
Patrice Gueniffey, historien
Yves Michaud, philosophe
Pascal Vinardel, peintre
Benoît Duteurtre, musicologue, écrivain, essayiste
Paul Thibaud, ex-directeur de la revue Esprit